top of page
Photo du rédacteurPaloma de Boismorel

La litterature sur le divan


Freud ou Lacan ? Ni l’un ni l’autre ! Plutôt que de remplir son agenda (déjà surchargé) avec des rendez-vous chez le psy, on panse nos petits problèmes psychologiques en (ré)ouvrant les classiques et on se laisse délicieusement psychanalyser par ces romans inoubliables.



Peur de s’affirmer


Le Père Goriot d’Honoré de Balzac

L’intrigue : Au milieu d’une peinture étourdissante de Paris au dix-neuvième siècle, les malheurs d’un vieux père qui a donné toute sa fortune pour établir des filles qui ne lui témoignent aucune reconnaissance.

La séance psy : Qui a envie de finir dans la pension Vauquer dont la description mythique a levé le cœur de milliers de lecteurs ? Personne. On ferait même n’importe quoi pour éviter l’odeur fétide de l’endroit, même dire NON quand on n’ose pas. Pas question de terminer comme ce pauvre homme, confit de gentillesse aveugle, dans une chambre sordide, abandonné de tous. Pour cela, on se débarrasse vite de notre côté « plat de nouilles » et on prend notre courage à deux mains (voir à trois si on a besoin d’aide) : au restaurant on demande de la salade à la place des frites, on refuse de prêter notre réfrigérateur pour dépanner le cousin d’une amie et on décline la gentille invitation des voisins à déménager leur grenier. Il faut que tout le monde le sache, maintenant c’est parfois non, non et non.


Paranoïa


Orgueil et préjugé de Jane Austen

L’intrigue : Comment Mr. Et Mrs. Bennett vont-ils réussir à marier leurs cinq filles ? A travers cette épineuse question, on suit les prémices difficiles d’une histoire d’amour dans le microcosme provincial de la bonne société anglaise.

La séance psy : Pour vous guérir de votre propension à penser que les pires intentions mijotent toujours dans la tête de vos proches, lisez ce roman et imaginez qu’au bal de Meryton, Elizabeth et Darcy, au lieu de feindre cette mauvaise indifférence, se soient levés pour danser ensemble comme des adultes responsables. Nos deux alouettes n’auraient pas seulement fait rapidement leur bonheur mais aussi celui de la planète. En effet, songez alors à l’économie réalisée : le papier de toutes ces lettres inutiles, l’énergie dépensée en discours de lamentation par Mrs. Bennett, un rhume ridicule à cette pauvre Jane, d’innombrables aller-retour jusqu’à Londres…



Insomnie


Un cours de droit constitutionnel belge (franchement, qui oserait prétendre que la littérature fait dormir ?)

L’intrigue : Par peur d’en dire trop, on se contentera d’une petite citation: « Le Parlement de la Communauté française, d'une part, et le Parlement de la Région wallonne et le groupe linguistique français du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, d'autre part, peuvent décider d'un commun accord et chacun par décret que le Parlement et le Gouvernement de la Région wallonne dans la région de langue française et le groupe linguistique français du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale et son Collège dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale exercent, en tout ou en partie, des compétences de la Communauté française. »

La séance psy : Précaution d’usage : renoncer immédiatement à y trouver une explication à la crise politique actuelle. Le mode d’emploi reste très simple : juste allumer votre lampe de chevet et commencer à lire. Les paupières seront vite lourdes, très lourdes, il fera noir dans votre tête (pas dans votre chambre hélas) et vous dormirez.



Acheteur compulsif


Au bonheur des dames d’Emile Zola

L’intrigue : L’ascension sociale d’une jeune orpheline provinciale qui travaille dans un des premiers grands magasins parisiens et assiste à la chute du petit commerce.

La séance psy : Les descriptions de la frénésie grotesque des femmes qui pénètrent dans les nouveaux temples du shopping apparus à la Belle Epoque agissent comme un seau d’eau glacée sur nos ardeurs dépensières. Alors comme ça, quand on tremble avec quatre chiffons dans chaque bras au milieu d’un magasin, on ressemblerait à une dinde de basse-cour un jour de kermesse ou à une mouche sur un panier de fruits moisis ? Non merci.



Peur de vieillir


Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde

L’intrigue : Un homme dont la beauté et la jeunesse se conserve mystérieusement tandis que sa vie de débauche se matérialise sur un portrait peint.

La séance psy : Si on veut absolument rester aussi rose, frais et mignon que Dorian Gray, c’est que l’on a comme lui quelque chose à cacher : nous. Le petit exercice qui consiste à s’afficher en société tout en dissimulant ce que l’on est, paraît enviable comme une séance de yoga sur un tapis de clous. Surtout qu’à ce jeu-là on ne gagnera jamais (à part quelques petites années au coin de l’œil qui font « plof » dès qu’on n’y pense plus). D’ailleurs, dans le roman d’Oscar Wilde, le héros devient aussi parano et agressif qu’un moustique sur une île déserte et finit même par tuer quelques proches un peu trop proches. Alors tant pis, pour vivre heureux, vivons ridé.



Instabilité, bipolarité


L'Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde de Robert Louis Stevenson

L’intrigue : Un notaire enquête à Londres sur les agissements étranges d’un ami médecin, le docteur Jekyll, dont une sorte de double malfaisant surgit de temps à autre.

La séance psy : Un jour oui, un jour non. Un jour amoureux, l’autre pas. Hier un loft cubique en plexiglass vert, demain une yourte en peau de vache. A ce rythme là on risque vite de passer pour M. Hyde. Comme dans la nouvelle d’épouvante de Stevenson, on imagine l’image terrifiante que notre entourage a de nous : une créature mutante qui risque de surgir à tout moment sous sa forme monstrueuse. Bientôt les gens frissonneront sur notre passage. Après avoir refermé cette lecture édifiante, on choisit son camp (Jekill ou Hyde, qu’importe) et on s’y tient.



Stress chronique, anxiété


A la recherche du temps perdu de Marcel Proust

L’intrigue : Euh… c’est à dire… En réalité, des dizaines d’histoires que l’auteur détricote avec nonchalance en explorant les cavités de sa formidable mémoire (dopée à la madeleine trempée dans du thé).

La séance psy : Allongez-vous, fermez les yeux et essayez de décrire la robe de votre grand-mère le jour de votre première communion. C’est un peu le genre d’exercices extravagants que fait Proust, une bonne leçon à tous ceux qui se rongent à propos de chaque prochaine minute de leur existence. Finalement, c’est vrai, pourquoi se préoccuper du présent (forcément insipide), ou s’inquiéter du futur (fatalement obscur), alors qu’on peut à tout moment lâcher prise et recréer mentalement le clocher d’un village de notre enfance afin de faire la liste des sentiments qu’il nous inspire ?



Maniaque

Belle du Seigneur d’Albert Cohen

L’intrigue : A Genève, la passion amoureuse, excentrique, parfois sublime, de l’épouse d’un petit fonctionnaire de la SDN pour l’un des supérieurs de son mari.

La séance psy : Le problème des gens obsessifs, c’est qu’avec leur loupe braquée sur les acariens du canapé ou l’étiquette du paquet de surimi, ils oublient de se regarder grandeur nature dans un miroir. A défaut, ce prodigieux roman réputé à la base pour décrire la splendeur tragique d’un amour démesuré et anticonformiste, leur mettra sous les yeux une belle bande de maniaques. Reste à admettre que si tout ne tourne pas rond pour les personnages, on pourrait conseiller : à Ariane d’Auble, de passer un peu moins de temps dans la baignoire à divaguer sur l’éclat de sa peau, à Adrien Deume, de travailler un peu plus ses dossiers et un peu moins l’ameublement de son bureau, à sa mère, de laisser tomber le « homard zermidor » et ses prétentions à faire « grand genre ». Le ridicule ne tue pas, les détails si.

bottom of page