L'écrivain suisse de 32 ans vient de jeter un pavé de 640 pages dans la mare des best-sellers avec la parution de son nouveau roman La Disparition de Stéphanie Mailer. Déjà plébiscité par les lecteurs et consacré en 2012 par le Grand prix du roman de l’Académie française, Joël Dicker sera sans doute l’auteur francophone le plus lu de l’année 2018. Pour décrypter le « phénomène », retour sur un entretien réalisé il y a 5 ans à la publication de son premier roman.
Allez-vous consacrer votre vie à l’écriture ?
Je ne sais pas. C’est difficile de se dire que l’on va écrire des livres les quarante prochaines années de sa vie. Peut-être que j’en aurai marre au bout de deux ans, peut-être que je n’aurai plus d’idées… Le bonheur est un but vague mais suffisamment clair pour être un bon garde-fou.
Votre roman se passe aux USA. Quels sont vos liens avec ce pays ? (ndlr : Le Livre des Baltimore et son nouveau roman La Disparition de Stéphanie Mailer se passent également là-bas).
Je dirais qu’il s’agit plutôt d’un roman français qui se passe aux USA. Cela fait vingt-cinq ans que je passe un mois chaque année en Amérique du Nord. C’est un terreau et une mentalité que je connais très bien. J’avais envie de décrire une réalité dont je suis proche mais pas l’endroit où je vis. Je ne voulais pas que les gens pensent que le café dont je parle dans le livre est celui dans lequel je vais. Placer mon roman en Amérique me permettait de garder une distance de 6000 kms entre moi et lui, ce qui est assez confortable. Je trouvais aussi intéressant d’exploiter le français, qui est une langue tellement riche que l’on peut décrire les USA de façon américaine sans passer par l’anglais. Ce qui m’agace c’est quand un roman écrit en français se passe à l’étranger et qu’on y met des mots de la langue du pays pour essayer de donner une couleur ou un ton. C’est un aveu de faiblesse. Dans La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, il n’y a pas de mot en anglais. Les deux seuls que j’ai gardés sont les « miles », car c’est une mesure officielle et cela posait des problèmes pour les distances entre les villes, et le « diner » car il n’y a pas de traduction en français. Ce n’est pas un restaurant, ce n’est pas un bar, c’est un endroit typiquement américain qui n’existe qu’aux Etats-Unis. Je n’ai en réalité pas fait d’exception pour ce mot là car je n’avais pas d’autres possibilités.
Pensez-vous que cette histoire aurait pu se dérouler de la même manière en Suisse ou en Belgique ?
Bien sûr. Même si le rapport à l’espace est très différent. La Belgique et la Suisse qui sont des Etats fédéraux et petits se comprennent très bien à ce niveau-là mais aux Etats-Unis on a une sensation d’immensité absolue. Et puis, l’ambiance fait partie du livre. La même histoire en Europe n’aurait pas donné le même livre. A côté de ça, l’histoire est suffisamment universelle pour que le lecteur qui n’a jamais mis les pieds aux Etats-Unis puisse s’identifier aux personnages. Il s’agit d’un fait divers dramatique mais malheureusement il peut se dérouler tous les jours en Suisse, en France ou en Belgique.
Saviez-vous ce qui était arrivé à votre héroïne avant de commencer à écrire ?
Non je n’en avais pas la moindre idée. C’est ça qui était drôle d’ailleurs. Il y a une idée générale mais c’est un peu comme si vous décidiez de prendre la route de Bruxelles et de rejoindre Rome. Il y a deux façons de faire. Soit on planifie tout et on sait quand on y sera, soit on part comme ça en ayant Rome en tête et on se laisse guider par des rencontres pour arriver finalement à Sarajevo. J’avais une idée de ce qui allait arriver à Nola mais je n’étais pas totalement convaincu et accroché à ça. C’était juste une option possible.
Combien de temps avez-vous mis pour écrire ce roman (La Vérité sur l'Affaire Harry Québert) ?
Deux ans et demi. C’est toujours difficile de quantifier car il faudrait faire un décompte des heures. Tout ce que je sais c’est que cela m’a pris deux ans et demi de ma vie mais c’est une période pendant laquelle j’ai travaillé à mi-temps, j’ai fini mon master en droit, j’ai fait plein d’autres trucs… Il y avait quand même une sorte de rythme. Parfois une journée entière, parfois pas du tout. C’était toujours le plus possible.
Les deux écrivains dans votre roman sont assez solitaires et font du sport ? Avez-vous vous aussi besoin d’une certaine discipline pour écrire ?
Oui, il y a une hygiène de vie qui est importante et je rapporte cela au sport dans le roman parce que c’est vraiment ça. Je fais de la course à pied et je suis à ma table de travail tôt le matin car après, on ne sait pas, il y a toujours quelque chose qui nous empêche. La discipline de façon générale est ce qui me permet de garder un rythme.
Comment faites-vous quand vous êtes en déplacement comme maintenant pour la promotion ? Arrivez-vous à écrire ?
Non difficilement. Mais j’essaye de me créer des plages de temps, de le faire différemment. J’aime écrire dans mon bureau avec personne et beaucoup de temps. Si je ne peux pas le faire, ce n’est pas très grave, il y a d’autres moyens : prendre des notes, réfléchir… Cela implique aussi que je ne suis pas très drôle comme garçon, je ne bois pas, je me lève tôt, je vais courir le matin. L’idée c’est d’essayer de garder une structure dans un monde où il n’y en pas du tout. C’est le monde de l’écriture. Vous êtes votre propre patron, c’est génial et dangereux à la fois.
Auriez-vous aimé avoir un maître d’écriture comme Harry Quebert ?
Harry Quebert est un fantasme très généralisé. Quand j’étais jeune, j’aurais bien voulu avoir un maître à penser. On m’a dit tu vas le trouver au lycée, au collège, à l’université. Mais je n’ai pas trouvé. J’ai inventé ce personnage de Harry pour raconter cette histoire du maître que j’aurais voulu avoir et que je n’ai jamais eu. Et puis en y réfléchissant et en en parlant avec les lecteurs, je crois maintenant que Harry est un fantasme d’une partie de nous-même qui est la partie forte, celle qui fait les choix. On aimerait bien quand on a des choix de vie importants, ne pas avoir à les faire et quelqu’un qui prend la responsabilité à notre place. Marcus manque justement de cette responsabilité de soi et c’est ce que Harry lui apporte. Au fond, Marcus et Harry pourraient être les deux faces d’un même personnage.
Beaucoup d’universités américaines proposent des cours de «creative writing». Pensez-vous que le métier d’écrivain puisse s’apprendre ?
Le « creative writing » est beaucoup plus simple que ce que l’on pense. Je ne connaissais pas très bien et je me suis renseigné pour savoir un peu ce que c’était. Ce n’est pas une méthode magique, c’est juste une manière de découvrir un cadre qui permette de mieux écrire à ceux qui auraient de la peine. Cela ne donne ni le talent d’écrivain, ni celui de scénariste, cela n’apporte rien qu’un cadre pour mieux développer les idées. Ce que vous mettez dans le roman, comment vous l’écrivez, ce qu’il advient, ça, personne ne peut le faire pour vous.
Que représente pour vous l’obtention du Grand Prix du roman de l'Académie française et du prix Goncourt des Lycéens ? La confirmation de votre légitimité d’écrivain ou une pression pour l’avenir ?
Je le vois vraiment comme un encouragement. Cela me donne un bel élan à moi et aux plus jeunes qui veulent écrire. Une façon de nous dire : on vous lit, on vous écoute et vous avez une place.
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