"Qui aime bien, châtie bien". Eric Neuhoff voue un amour fou au cinéma hexagonal et il le lui fait bien payer. Avec Très cher cinéma français, prix Renaudot de l'essai, le critique de films, également romancier, règle ses comptes avec les réalisateurs et les acteurs de son pays. Les uns sont paresseux et sans audace, les autres se donnent de grands airs et manquent de charisme. Isabelle Huppert est "sexy comme une biscotte". Les films de Claire Denis et d'Olivier Assayas "ressemblent à des appartements témoins". Noyé sous l'eau tiède des subventions, le cinéma prend l'eau. "Le danger a disparu. Tout est remboursé avant la sortie". La colère d'Eric Neuhoff est souvent outrancière et son dégoût des films d'aujourd'hui est peut-être une simple lassitude pour l'époque dans laquelle il vit. Il n'empêche qu'en tapant du poing sur la table, le critique du Figaro et du Masque et la Plume, réussit à réveiller en nous les images enfouies du cinéma de François Truffaut, d'Eric Rohmer ou même de Georges Lautner.
Votre premier éblouissement au cinéma ?
« Les aventuriers » en 1968 avec Lino Ventura et Alain Delon.
Le film devant lequel vous avez le plus dormi ?
Tous les films d’Alain Resnais et de Jacques Tati. Ils ne m’ont jamais fait rire. Ceux de Marguerite Duras sont enquiquinants mais c’est tellement extrême que ça en devient drôle.
Si vous étiez producteur, quel casting français aimeriez-vous financer ?
Je prendrais Vincent Lindon et Fabrice Lucchini pour jouer des adultes un peu mûrs et puis j’engagerais Louis Garrel qui est devenu très bien en partant de loin. Pour la fille, peut-être Marine Vacht qui semble être la nouvelle Romy Schneider mais qui n’a pas encore trouvé de films comme « La Piscine » ou « César et Rosalie ».
Qu’est-ce qui vous manque le plus à l’écran ?
Les bons polars et puis les films comme ceux de Claude Sautet, des films ancrés dans la réalité avec un tas de sentiments à propos de l’amitié, des couples, du temps qui passe… avec des dialogues qui sonnaient terriblement juste et des brochette d’acteurs comme il n’y a plus aujourd’hui. On manque aussi de comédies commerciales qui ne soient pas vulgaires et lourdes.
Qu’est-ce que vous ne voulez plus entendre ou voir au cinéma ?
Quelqu’un qui dit « Ah quand même » ou qui répète une phrase sous la forme interrogative. Je ne veux plus voir non plus une scène où quelqu’un conduit une voiture et chante en même tant que l’autoradio. je ne veux plus voir non plus de femmes ou d’hommes en train de faire pipi. Ce qui se passe sur l’écran doit être plus intéressant que ce qu’il pourrait vous arriver dans la rue. Il ne faut pas perdre de temps, surtout à mon âge.
Quel est le procédé cinématographique qui vous énerve le plus ?
Les mauvais flash-back avec un fondu enchaîné. Ou quelque chose d’attendu comme une bouilloire en train de siffler sur une cuisinière et l’image d’après on passe à une locomotive à vapeur…J’aimerais que le metteur en scène soit plus doué que moi, en sache plus que moi, me surprenne à chaque séquence.
Quels liens faites-vous entre la littérature et le cinéma ?
J’ai longtemps cru que les films étaient plus intéressants que les livres mais c’est très lié à l’adolescence parce qu’on se dit que la vie va ressembler aux films que l’on voit. Quand je regardais un film, je voulais être un des acteurs et quand je lisais un roman je voulais être l’auteur du roman, jamais le personnage. En lisant Gatsby, je ne voulais pas être Gatsby, je voulais être Fitzgerald. Aujourd’hui je pense que les livres tiennent plus le choc du temps que les films, c’est un matériau moins altérable. Il y a beaucoup de films qui vieillissent mal, ils vieillissent encore plus vite que nous, mais il faut quand même les revoir en sachant qu’on prend le risque d’être déçu. Il y a très peu d’exemples de films qui soient à la hauteur des livres dont ils se sont inspirés à part « Le Feu follet » de Louis Malle. C’est d’ailleurs un film où l’on voit Paris qui a disparu du cinéma français. Maintenant on ne voit plus les villes. On ne voit pas les trottinettes par exemple ou les nouvelles boutiques. Quelqu’un comme Woody Allen savait très bien faire ça quand il avait encore le droit de tourner à New York. C’est beau une ville, c’est très cinématographique. Dans « La Dolce Vita » de Fellini, Rome est un personnage à part entière du film.
Le cinéma américain vous semble-t-il en meilleur santé que le cinéma français ?
Comparativement au nombre d’habitants, il y a moins de films aux États-Unis mais la grosse différence c’est que ce n’est pas du cinéma assisté par l’État, les films sont financés par de l’argent privé. Il y a énormément de blockbusters complètement insipides et inintéressants mais bizarrement ils ont conservé de grandes personnalités comme Wes Anderson, James Gray, Noah Baumbach ou Paul Thomas Anderson qui sont quand même de grands réalisateurs. Aujourd’hui, on attend plus les films américains que les films français. Il faut dire que pour les Américains le cinéma c’est comme de la farine pour les boulangers, c’est dans leur ADN, ils respirent le nitrate d’argent. En France, on est une nation beaucoup plus littéraire que cinématographique.