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Photo du rédacteurMadeleine Nosworthy

Ce sentiment inconnu

Il y a quelques livres, vraiment très peu, que je relis presque tous les ans. Soit parce que j’en tire de bons conseils lors de périodes difficiles, soit parce qu’ils renouvellent ma foi en l’humanité par leur fantaisie ou leur profondeur. Avec Bonjour tristesse de Françoise Sagan, c’est une sorte de nostalgie de mes années d’adolescence, de ces longs étés méditerranéens au soleil sans fin et à la mer éblouissante, qui me captive.






Cécile a dix-sept ans lorsqu’elle passe un été sensuel et langoureux dans une maison du bord de la Méditerranée, en compagnie de son père veuf, de l’amante de celui-ci et d’un charmant jeune homme rencontré sur la plage. La liberté et l’insouciance de ce petit groupe sera bientôt bridée par une nouvelle venue, Anne Larsen, une amie de famille qui pose « les normes du bon goût, de la délicatesse » et qui se rapproche du père de Cécile.


Le bruit des vagues


Si l’histoire m’enchante, c’est d’abord l’ambiance qui me fait revenir régulièrement vers ce livre. J’ai passé de nombreux étés dans une maison de famille qui a pour fond sonore le bruit des vagues. Je sens encore le sel sur ma peau, l’eau « fraîche et transparente » qui nous appelait et la lourdeur des corps sur le sable brûlant : comme les personnages de Sagan, « nous passions des heures sur la plage, écrasés de chaleur, prenant peu à peu une couleur saine et dorée » ; « j’étais clouée au sable par toute la force de [l’] été. » Je me souviens des après-midis passées dans l’eau à explorer les rochers, des siestes dans les hamacs et des parties de cartes interminables.


Cette maison de famille que mes arrière-grands-parents ont construite dans les années 1930 était entourée des maisons de leurs amis, un groupe de lyonnais qui ont eu la bonne idée de dénicher des terrains de bord de mer à une époque où ils se vendaient comme des petits pains. Leur descendance était heureuse de profiter de ces maisons les pieds dans l’eau. Depuis des générations, nous vaquions de maison en maison, de plage en plage, préoccupés par la seule idée d’emmagasiner tout le soleil possible. Je ne sais pas si j’ai eu la chance de vivre une époque incroyable et désormais révolue, ou si j’ai simplement grandi et ma vie s’est emplie de décisions compliquées – toujours est-il que les souvenirs d’été de Cécile me sont familiers. Les premiers émois amoureux, les devoirs de vacances, et l’essentiel : « la présence de la mer, son rythme incessant, le soleil. »



Les idées faciles


Ce qui m’emplit aussi de joie dans Bonjour tristesse, c’est l’écriture. Sagan a 18 ans lorsqu’elle publie ce court roman et ses personnages sont étonnants de psychologie. Les « petites ombres autour des yeux » d’Anne lorsqu’elle apprend qu’elle a une

concurrente, le « goût du plaisir » qui prend toujours le dessus chez le père de Cécile, les « sentiments acides et déprimants » qui envahissent l’adolescente : il y a là « tous les éléments d’un drame. » L’insouciance dans laquelle évoluent Cécile et son père semble merveilleuse. Leur bonheur parfait émane du fait qu’ils ne connaissent pas les soucis, ils ont les idées faciles et « il était agréable d’avoir des idées faciles. » Mais cette insouciance fait abstraction des autres, qui n’existent que pour leur renvoyer leur propre reflet. Cécile et son père ne savent pas prendre leur entourage en compte sans donner la priorité à leur propre plaisir, et leur égoïsme aura des conséquences tragiques.


Bonjour tristesse de Françoise Sagan, 140 p.

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