Halloween, ce sont évidemment les citrouilles, les bonbons et les caries mais c’est aussi la fête des morts. Drôle de fête pour une société qui a évacué la question de la mort au point d’en faire une sorte de fakenews. Essayez un peu de lancer le sujet dans une conversation avec vos amis. Effet couvre-feu assuré. Mais comment parler de la mort sans être morbide?
Qu’on y soit confronté, qu’on la redoute ou qu’on veuille l’apprivoiser, les interlocuteurs sont rares. Et il faut bien reconnaître que ceux qui en parleraient le mieux ne sont plus là. À moins que. Patricia Darré communique, elle, avec les défunts depuis 25 ans. Du jour au lendemain, cette journaliste radio est devenue médium. Un don tombé du ciel qu’elle a d’abord pris pour de la schizophrénie avant d’accepter l’inacceptable : celui d’un contact avec l’au-delà. Difficile au début de faire coïncider sa vie familiale et
professionnelle avec de telles facultés. Surtout quand on vient de donner naissance à un petit garçon et que l’on est marié à quelqu’un qui ne croit pas aux esprits. Persévérante et pragmatique, elle a relevé le défi.
Oubliez Madame Irma avec son chignon, son châle et ses bougies. Patricia Darré ressemble à une voisine sympa. Elle porte des pantalons, parle avec une voix de fumeuse et a un vrai sens de l’humour. Mais surtout ce qu’elle dit est bouleversant. Je ne parle même pas de cette interview, ni des livres passionnants qu’elle publie, mais de ce qu’elle m’a dit juste avant ce que vous allez lire. Je parle de ces quelques informations qu’elle ne pouvait ni deviner, ni connaître et qui contribuent aujourd’hui à illuminer mes journées endeuillées par la mort récente d’un être irremplaçable.
Si vous ne croyez en rien, n’ayez pas peur de lire ces lignes. Personne ici ne va essayer de vous convaincre. Gardez juste les yeux et le cœur ouverts car un jour il se peut que, vous aussi, vous soyez confronté à l’inexplicable. L’inexplicable étant souvent ce qui n’a pas encore été expliqué.
Interview de Patricia Darré (auteure d’Un souffle vers l’éternité, éd. Michel Lafon, 2012)
Quels conseils donnez-vous à quelqu’un qui vient de perdre un proche?
La première chose est de ne pas le porter mort. Il n’y a rien de pire pour un mort que d’être imaginé mort. Le corps est vide, ce n'est qu’un vieux manteau qu'il a laissé derrière lui. L'esprit est vivant, le défunt est vivant. C’est la permière chose qu’ils veulent dire d’ailleurs. Ils sont stupéfait d’être vivants, de nous voir, de nous capter et ils veulent le dire. Après, il faut vivre son chagrin. Il ne faut pas essayer de mettre la charrue avant les bœufs, comme on dit vulgairement, c'est à dire de vouloir d’un deuil trop rapide ou de vouloir s’empêcher de pleurer pour montrer que l’on est fort. Ce n'est pas la peine. On doit vivre ce qu'on a à vivre, mais ne pas non plus en faire un statut définitif. Le problème du deuil c’est que souvent, les gens se complaisent à se victimiser, à se dire que comme ils ont vécu une tragédie, ils sont tranquilles jusqu’à la fin de leur vie. Il y a des gens qui souffrent de la perte d'un enfant mais qui vont l’attiser pendant des années et vivre dans une réclusion de souffrance. La souffrance est normale mais plus vous allez la cultiver plus elle va prendre de grandes proportions.
Comment faire justement pour vivre pleinement son deuil sans s’y complaire ?
Aujourd'hui, on ne prend plus le temps de veiller nos morts. La mort est rapide. Il faut que ce soit clé en main. Il faut que ce soit propre et que personne ne voit le mort si possible. Je rencontre beaucoup de gens qui sont détruits par un deuil et ils me disent souvent « je n'ai pas eu le temps de voir mon père. Je suis arrivé en retard à l'hôpital. Il était mort. Il n'était plus là. Il me manque. Je n'ai pas pu me recueillir ». C'est une souffrance réelle qui va être là pendant des années parce que la culpabilité, on ne peut pas la chasser comme ça, c'est terrible. Il ne faut pas brûler les étapes, ne pas céder pas non plus aux pompes funèbres ou au travail qui vous appelle plus vite que la mort de votre défunt aimé. Il faut prendre le temps d'accompagner les défunts. Il faut les faire revivre. Je suis pour reprendre la veille du mort, l’entourer, parler de lui, se rappeler les bons moments, boire à son élévation. En Afrique, on organise une fête qui dure trois jours. Il faut vraiment les accompagner. On ne sait plus le faire dans nos pays européens. C'est très, très dommageable. Les défunts souvent sont bien mais ceux qui restent sont très malheureux.
Comment retrouver une vie sociale après ?
Aujourd’hui, on ne porte plus de noir. Les femmes en deuil que l'on voit dans les films des années 30-40 paraissent ringardes mais ces vêtements avaient une fonction. Quand on montre qu'on est en deuil, on n’a pas besoin de le dire ou de le rappeler. Les personnes le voient et elles vont avoir une autre façon de vous aborder, on va respecter le fait que vous soyez « en sensibilité ». Le jour où on enlevait sa robe noire on considérait que l'on avait exorcisé son deuil et que l’on pouvait reprendre sa vie. Aujourd'hui, on n’a plus d’étapes. Hier je parlais avec une personne qui a perdu son époux, elle m’a dit « j’ai mis un petit bracelet brésilien noir à sa mort et je me suis dit que le jour où le bracelet se détachera, j'aurais déjà fait un pas ». Je pense que ce sont des petits repères pour avancer. On a besoin de temps pour sortir de son deuil. Quelquefois, on a besoin de pleurer pendant un an, deux ans, quatre ans. Ce qu’il faut, c’est prendre le temps d'en sortir. Il faut en sortir. Quand quelqu'un est dans le deuil, tout le monde s’écarte de lui, on ne veut plus le voir. On se dit : il va encore nous parler de la mort de l'autre, qu'est ce que je vais lui dire ? Il y a une grande lâcheté dans la peur de la mort pourtant il faut continuer de parler des morts et de les faire vivre, mais pas de manière morbide.
Oui mais comment parler des morts sans être morbide ?
On a perdu pas mal de gens dans ma famille et par exemple, quand on se retrouve à Noël, on porte un toast à chacun. La pire des choses, c’est de ne plus parler des morts. Dans ma campagne (Patricia Darré vit dans le Berry en France), c’est un peu la tradition, sous prétexte que ça porte malheur. C'est terrible car quand quelqu’un est mort, on l’enterre deux fois. On a plusieurs vies dans une vie, même après la mort. Parlez de vos défunts, ne les faites pas mourir, n’ayez pas peur de les pleurer. Au début, on pleure et puis après on en parle en souriant avec amour, puis on rit, on se rappelle des choses drôles et ils deviennent nos compagnons. À mon âge, il n'y a pas un jour où je ne parle pas de mes parents, où je ne fais pas revivre ma grand-mère… Même si je ne communique plus avec mes parents depuis longtemps je sais qu’ils sont de l’autre côté et que je les retrouverai. Pareil avec mon mari. Ils sont présents et leur présence est formidable, c’est une vraie présence. Il faut que l'on continue à vivre, ils n'auraient pas voulu que nous devenions des ombres ou des victimes pleurant sempiternellement. On vit avec eux, on vit grâce à eux, ils guident nos pas, ils sont là, en permanence ils nous accompagnent et on vit, deux fois plus encore.
Est ce que l'on doit céder à l'envie de communiquer avec nos proches défunts via un médium ?
Alors je vais être extrêmement franche. En étant médium, je le suis d'autant plus, c'est que ça n’est pas utile d’aller voir des médiums pour communiquer avec les défunts. C’est inutile dans le sens où l’on n’est pas sûrs de les avoir. Les défunts sont les grands décideurs, ce sont eux qui viennent à nous. Toujours. Communiquer c’est bien mais soyons plus ouverts et réceptifs. Quand ils veulent nous faire savoir qu'ils vont bien et qu’ils sont là, ils trouvent des choses autour de nous, dans notre environnement proche. Il peuvent nous faire des signes étonnants avec les moyens les plus simples. Ce sont souvent des oiseaux, des papillons, des petits animaux ou des insectes qui sont mobiles ou légers et donc plus faciles à manipuler. Ce sont aussi des objets que l'on va trouver, des phrases qui reviennent ou des choses que l'on va être tenté de faire alors que bizarrement d’habitude on ne les fait pas. On va découvrir une coïncidence entre ce qu'on fait et ce qu'aurait aimé la personne.
Certaines personnes, moins observatrices ou moins réceptives à ce genre de signes, auront peut-être besoin de consulter un médium ?
S’ils sont comme ça, seront-ils réceptifs aux messages d’un medium ? Quelque fois c’est frustrant, on revient déçu. Ce n’est pas comme un film que l’on va voir. C’est une tentative de contact, il faut établir des fréquences, et c'est très compliqué. Je connais des gens qui passent leur vie depuis 10 ans à aller chez tous les médiums de la Terre pour avoir une phrase et qui reviennent chez eux toujours insatisfaits. C’est épouvantable. Un défunt ne va pas faire des grands discours. Quand on a connu un Papa taiseux, il ne va pas revenir en faisant un grand laïus sur l'amour. Ça n’existe pas. Il reste avec son caractère. Il ne dira pas grand chose. S’il ose, il va peut-être dire deux mots. Il y a deux choses que les défunts veulent dire, c’est qu’ils sont vivants et qu’il faut aimer.
Pratiquez-vous la prière ou la méditation? Quels conseils vous donneriez pour approfondir sa spiritualité quotidiennement?
Je ne suis pas une catholique pratiquante mais je pratique une forme de prière, on appelle ça comme on veut, moi j’appelle ça des intentions. C'est très important. La prière, l'intention, la pensée que l'on émet a une puissance énorme. Les défunts disent toujours que les prières ou les pensées que nous leur envoyons sont de petites lumières qui éclairent leur chemin comme de petites bougies.
Concrètement comment vous y prenez-vous ?
Je prie tout le temps, même en travaillant. Quand je suis en train de préparer le repas, je pense à eux. Je suis toujours en intention. Quand on veut vraiment s’arrêter, on peut prendre une pause. La méditation c’est important aussi. C’est-à-dire se mettre à respirer à fond, regarder les mouches voler, se laisser porter par les bons souvenirs, les pensées positives, revoir les visages de nos défunts et leur envoyer tout l’amour qu’on a. Mais on peut le faire aussi en marchant. Ce que l’on envoie, ce que l’on donne, nous revient au centuple. C’est devenu un adage qui n’a pas beaucoup de sens dans la bouche de certains « donne et tu recevras » mais c’est vrai. Quand les gens me disent : moi, je n’ai pas arrêté de donner et je n’ai jamais rien reçu, je leur réponds : posez vous la question de ce que vous avez vraiment donné et posez vous aussi la question de l’intention avec laquelle vous l’avez donné. Si vous ne recevez pas c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas. L’amour ne ment pas.
Comment savoir si on peut faire confiance à un guérisseur ou à un magnétiseur?
C’est le discernement, il n'y a pas de loi. Quand les gens vous disent ce que vous voulez entendre à chaque fois, ça devient compliqué. Si c’est un médium et qu’il a systématiquement quelqu’un qui veut vous parler, c’est faux, tout le monde n’est pas forcément là. Si c’est un guérisseur, il doit y avoir des résultats et s’il n’y en a pas, il doit vous le dire. S’il est honnête, il doit vous le dire avant, vous prévenir qu’il va essayer mais que la chose est trop compliquée pour lui.
Avez-vous des lectures à recommander pour approfondir ces questions ?
Sur la médecine énergétique, il y aujourd’hui des tonnes de livres, une littérature infinie mais pour l’au-delà, je me référerai toujours à Alan Kardec qui a écrit Le livre des esprits, une vraie bible. Certains termes sont un peu désuets mais ils disent bien les choses et le message est quand même terriblement actuel. Il y a aussi le père François Brune qui a fait un travail formidable de recherche teinté de christianisme avec Les morts nous parlent. Il lisait l’araméen comme je lis le français. J’ai travaillé avec lui et il me manque énormément. Vous savez, il y a 20 ans quand on parlait de ces phénomènes, il y avait des gens extraordinaires, comme le professeur Rémi Chauvin par exemple, un peu considérés comme des docteurs Folamour, mais qui étaient des gens d’une érudition extraordinaire. J'ai beaucoup de nostalgie pour tous ces gens qui ont fait avancer la cause, cause qui aujourd’hui est devenue très superficielle. En 2020, on se retrouve avec une kyriade de médiums et de gens complètement incultes qui arrivent avec des choses abominablement gadget ou un décorum absurde. Vous savez quand vous êtes medium, il faut lire, il faut par exemple avoir lu Jung pour comprendre la démarche entre psychanalyse et paranormal. Quelqu'un qui n'est que dans un ressenti ne va pas toujours avoir l'interprétation parce qu’il lui manquera des références. Il ne pourra pas aller plus loin et c’est frustrant. Les réseaux sociaux, c’est bien d’un côté parce que tout le monde a accès aux informations mais après on y voit des choses tellement bêtes, tellement absurdes. C’est dommage. Les gens ne sont pas assez regardants. Quand on vous dit qu’un défunt parle, ne vous arrêtez pas à ce qu’il dit, arrêtez-vous à ce que vous ressentez. Soyez curieux et à l’affut de tout. Si on veut faire avancer la cause, il faut qu'on soit plus pointilleux.
L'article « mediumship » sur Wikipedia est un long inventaire de fraudes pratiquées par de prétendus médiums. Comment expliquer que la médiumnité n'ait pas accès à plus de respectabilité dans notre société ?
Parce que les gens qui la pratiquent ne sont pas tous respectables. Il y a beaucoup de charlatans qui soulagent surtout le portefeuille. Sur le nombre de médiums que j’ai rencontrés, il n’y en a que 10% de crédibles. Les autres ce sont surtout des businessmen qui vous font des tarifs incroyables. Moi, je ne prends pas d’argent, je ne pourrais pas. Comment voulez-vous qu’après tout l’amour que je viens de déclencher, je puisse demander de l’argent ? Ce serait de la prostitution.
Mais on peut comprendre aussi que les médiums aient besoin de vivre, comme tout le monde ?
Ce n’est pas un métier. Les médiums qui consultent toute la journée, sont obligés de mentir à un moment ou un autre. Je connais des gens qui sont dans leur petit topo de tous les jours, ils ont le vocabulaire, ils sont avec leurs lumières, leur encens, leurs trucs, leurs machins, ils reçoivent Madame Michu, ils lui disent, « ooooh il est là, ooh il vous aime, je vois du bleu, je vois du rouge » et toute la journée ils vont dire la même chose. Comment voulez vous que l’on soit crédibles ? C’est lamentable. Mais je connais des médiums chez lesquels on peut donner ce qu’on veut. Je connais même un vieux médium chez lequel il y a un panier pour ceux qui veulent payer en légumes. Je trouve ça formidable mais le business avec la plaque sur la porte, ça me dérange.
À lire : tous les livres de Patricia Darré ainsi que son dernier paru en 2020 : Survivre dans le tumulte, éd. Michel Lafon.
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