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Photo du rédacteurMadeleine Nosworthy

La Russie, c'est ma confiture

Connaissez-vous l’expression anglaise “that’s my jam”? Lorsque quelqu’un met une musique qu’on aime, ou parle d’un thème qu’on connaît bien, on dit “that’s my jam”, ce qui signifie “ça, j’adore — ça, je connais bien”. Une traduction directe de “that’s my jam” en français serait “c’est ma confiture” et je crois bien que ça va devenir mon expression de l’été.*


Donc voilà, tout ce préambule pour vous expliquer que la Russie, c’est ma confiture — je kiffe, j’adore, ça m’intéresse, je pourrais m’y intéresser toute la journée (et c’est d’ailleurs plus ou moins ce que je fais). Ne me demandez pas pourquoi, j’ai cherché des explications et des significations, j’ai prédit que ça n’allait pas durer, j’ai tenté de faire complètement autre chose de ma vie mais voilà, la Russie n’a de cesse de revenir dans ma vie — et dans mes lectures. C’est pourquoi je veux vous parler aujourd’hui non pas des classiques littéraires russes dont on nous rabâche les oreilles (non, je n’ai pas lu Guerre et Paix, oui, on peut connaître la Russie sans avoir lu tous ses classiques littéraires — sue me), mais d’un livre paru en 2015 et traduit en français en 2017, écrit par une auteure discrète mais très célébrée en Russie.


Gouzel Iakhina est d’origine tatare, et le livre qui l’a rendue célèbre est inspiré de l’histoire de sa grand-mère. Elle parle d’une Russie que nous, les occidentaux, connaissons peu: ces régions lointaines dont les habitants ne ressemblent en rien au stéréotype russe que nous voyons sur les plages de St Tropez ou dans les grands magasins. De fait, cette diversité est une spécificité russe que je trouve passionnante, qui s’explique entre autres par l’Histoire de la conquête de l’immense territoire russe. Saviez-vous qu’il existe presque 200 ethnies en Russie, et que chacune a des traditions, un territoire et souvent une langue propres?


© Roman Erofeev pour yakhina.info

Dans un contexte où le discours national en Russie est révisionniste et où les autorités exploitent l’Histoire de la Russie pour mieux servir leurs ambitions politiques, il me semble plus important que jamais de prêter attention aux histoires individuelles qui témoignent du passé russe. L’URSS, on l’a tous étudié en cours d’Histoire au collège ou au lycée, de la Terreur stalinienne aux plans quinquennaux — mais les histoires personnelles des russes sont à mon sens autrement plus fascinantes que les cours de géopolitique. C’est pour cela que j’aime autant la poétesse Anna Akhmatova, qui parle si bien de la vie quotidienne sous Staline, et c’est pour la même raison que Gouzel Iakhina m’a captivée.


© Simon & Schuster UK

Zouleikha est une toute jeune femme russe originaire du Tatarstan, cette région du sud-ouest de la Russie, traversée par la Volga, et où le culte musulman est majoritaire. Zouleikha est mariée à un homme bien plus âgé qu’elle, et vit aussi avec sa belle-mère, une vieille femme aveugle qui l’accable sans cesse de reproches. Tous les trois vivent une vie dure dans une petite ferme, et ne possèdent qu’un cheval et une vache. Mais cela suffit aux autorités pour les ranger dans la catégorie des “kulaks”, ces paysans-propriétaires que les soviétiques veulent déposséder afin de donner leur bien à la nation. Zouleikha est emmenée loin de tout ce qu’elle connaît et devra participer à la construction du camp de travail forcé dans lequel elle passera le reste de sa vie, et qui deviendra son nouveau foyer, entourée d’une famille qui ne ressemble en rien à celle avec laquelle l’histoire a commencé.


Une fresque sur plusieurs décennies en presque 500 pages, Zouleikha ouvre les yeux continue la lignée des grands romans russes en créant des personnages complexes et en évitant la caricature, avec pour thème central la force de vie incroyable de la grand-mère de Iakhina. Une révolution pour ceux qui pensent encore que la Russie, c’est Dostoïevsky, Tolstoï ou Tchékov.


Gouzel Iakhina, Zouleikha ouvre les yeux, Éditions Noir sur Blanc, 468 pages


*Pour ceux que ça intéresse, dans cette expression le mot “jam” vient en vrai du verbe “jamming” (et non pas de la confiture, jam, son homonyme). Jamming, comme dans la chanson de Bob Marley We’re jammin’ ça veut dire “improviser de la musique ensemble.” L’expression “that’s my jam” vient donc de la musique mais s’est étendue à tous les domaines et est utilisée comme synonyme de “c’est mon truc”.

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