Pendant longtemps, quand on me parlait de sorcières, je visualisais une vieille dame au nez crochu affublé d’une verrue, avec un chapeau pointu noir et un balai. C’était la sorcière du Blanche Neige de Walt Disney qui apparaissait dans mon esprit (quand la belle-mère se transforme en vieille femme): je la trouvais profondément inquiétante.
Mais ça, c’était avant. Avant que je ne lise Mona Chollet, avant qu’Isabelle Sorente n’écrive son Complexe de la sorcière. Depuis, tout un imaginaire s’est développé dans mon esprit autour de la sorcière, ainsi qu’une connaissance plus approfondie de moi-même. Pas d’inquiétude, je ne suis pas “devenue sorcière”, je ne vais pas vous expliquer que je me suis découvert des pouvoirs magiques (quoique…) — non, ce qu’il s’est passé c’est que j’ai compris que ce cliché de la sorcière, de la (souvent vieille) femme méchante et mal intentionnée, avait des conséquences énormes.
Parce qu’on pourrait se dire l’inverse: et si ces femmes qui connaissent les potions pour nous faire guérir, qui sont en communion avec la nature ou l’au-delà, les guérisseuses et les mediums, ces femmes qui ne rentrent pas dans les cases de la société car on ne peut pas leur attribuer un intitulé de poste — et si ces femmes-là avaient des choses à nous apprendre?
Mona Chollet et Isabelle Sorente vont encore plus loin. Elles étudient de près le phénomène des chasses aux sorcières ayant eu lieu dans toute l’Europe au moment de la Renaissance, et s’intéressent à l’impact que ces chasses ont encore sur la société dans laquelle nous vivons, et sur nos inconscients individuels. Mélanges de recherche ultra-documentée et d’anecdotes personnelles, ces livres ont parlé directement à mon âme — pas besoin d’analyse, de connaissances historiques ou sociologiques, ni même d’un intérêt préalable pour les sorcières. C’est comme si une partie de moi qui avait toujours existé avait été vue et nourrie pour la première fois.
Mona Chollet est cheffe d’édition au Monde diplomatique et a publié plusieurs livres et essais. Avec Sorcières, la puissance invaincue des femmes, elle explore les injonctions et les non-dits sociétaux qui entourent les femmes. Comment sont perçues les femmes qui ne veulent pas d’enfants? Comment continuer à exister lorsqu’on est une femme considérée comme “âgée”, et donc plus vraiment intéressante pour sa jeunesse et sa
beauté? Elle émet l’hypothèse que ces “sorcières” qui incarnent le mal dans l’inconscient collectif, ces femmes que l’on a chassées et tuées aux XVIeme et XVIIème siècles étaient peut-être simplement des femmes qui ne répondaient pas aux attentes sociales. Enfin, elle explore comment on peut se débarrasser de ces attentes pour faire de la place à une vision de la féminité complexe, stratifiée et individuelle. Parce qu’elle fait fi des clichés et des raccourcis, parce qu’elle décline toutes les facette du quotidien des femmes, de l’intérieur domestique à l’obstétrique, et parce qu’elle questionne en profondeur la construction de nos identités, ce lire de Mona Chollet a eu un succès retentissant. Les seuls déçus sont ses plus grands fans, car elle n’aime pas les apparitions en public et évite le plus possible les interviews. Mais rassurez-vous: son prochain livre arrive en septembre.
De son côté, Isabelle Sorente part à la découverte de son inconscient. À mi-chemin entre le traité de psychologie et l’autobiographie, son livre paru l’année dernière explore comment les chasses aux sorcières ayant eu lieu en Europe lors de la Renaissance
peuvent informer la connaissance de soi. Partant de la théorie que ces crimes de masse ont forcément marqué l’inconscient collectif européen, elle explore comment la relation inquisiteur-sorcière marque nos relations humaines. Loin du jargon psycho-pathologique et des idées reçues sur la thérapie, ce livre met à l’honneur l’intuition personnelle et la part de mystère qui réside en chacun.
Sorcières, la puissance invaincue des femmes, Mona Chollet, Éditions La Découverte, label Zones, 230 pages
Le complexe de la sorcière, Isabelle Sorente, en livre de poche, 320 pages
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